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Des options à la rémunération au mètre cube

La rémunération au mètre cube est un système obsolète et non équitable.

24 mars, 2022  par Louis Dupuis, économiste et associé chez S.Guy Gauthier Évaluateur


toutes les photos: Louis dupuis

Voici un petit jeu-questionnaire pour vous: pouvez-vous nommer un secteur d’activité économique autre que la foresterie où le donneur d’ouvrage impose à ses entrepreneurs sa rémunération et son système de paiement (souvent incompréhensible pour le commun des mortels), en plus d’une retenue sur la rémunération finale? Un secteur où le donneur d’ouvrage décide également de quand il va verser la somme complète, après avoir lui-même été juge et partie de l’ouvrage accompli par son contracteur, qui de surcroît n’a aucun recours ou pouvoir de contestation possible? Le tout avec la bénédiction du gouvernement?

Le système actuel de rémunération des entrepreneurs forestiers est entièrement à la faveur du donneur d’ouvrage, qui s’assure ainsi de son coût d’approvisionnement tout en transférant tous les risques à ses contracteurs, sans jamais tenir compte des coûts réels d’opération.

Ce système est aujourd’hui insoutenable pour les entrepreneurs forestiers, qui ont vu leurs coûts d’opération constamment augmenter (salaires, machinerie, versements, entretien & réparations, carburant, assurances, etc.) sans que leurs revenus ne suivent le même rythme. 

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Pendant un certain temps, l’amélioration de la technologie et des méthodes de récolte ont permis d’absorber une partie de ces hausses de coût par une augmentation de la performance et des volumes récoltés. Mais ces facteurs ont maintenant atteint leurs limites, et il devient très difficile de faire des gains significatifs additionnels, surtout dans des secteurs de coupe à faible rendement.   

À l’origine, soit à la fin des années 1960 et au début des années 1970, quand les industriels ont transféré la propriété de la machinerie forestière à leurs employés, la rémunération qu’ils ont fixée permettait aux nouveaux entrepreneurs de prospérer. Ce transfert de responsabilité était autant à l’avantage de l’industriel qui n’avait plus à supporter, entretenir, gérer et opérer une flotte d’équipements, et aussi à l’employé qui se voyait offrir l’opportunité de se lancer en affaires et de s’enrichir.

Au début des années 1990, quand les industriels ont décidé de convertir les opérations de récolte du bois long au bois court, la rémunération établie à environ 18$ du m³ permettait aux entrepreneurs d’acquérir de nouveaux équipements (comme des abatteuses multifonctionnelles et des transporteurs), d’apprivoiser de nouvelles technologies et méthodes de récolte, de former la main-d’œuvre, et de demeurer profitables afin de pouvoir continuer à investir dans leurs entreprises. De plus, le donneur d’ouvrage réservait alors les meilleurs secteurs de coupe aux nouvelles équipes multifonctionnelles dans le but de leur assurer de meilleures conditions de réussite.

À titre d’exemple, en 1993, Yves Gagnon de Multi-Tiges, a été le premier au Saguenay, et l’un des tout premiers au Québec, à convertir ses opérations en multifonctionnelles. Il a alors transformé son ébrancheuse Komatsu PC200LC-5 1991 avec flèche télescopique DT3000, en abatteuse multifonctionnelle en acquérant une tête façonneuse FMG762B, des mâts d’excavatrice, un protecteur de cabine forestier, et en effectuant quelques autres modifications, le tout (incluant l’installation) pour la somme de 120 000$. Son frère qui possédait un débusqueur John Deere 640 a modifié celui-ci pour ajouter un panier et une grue de chargement. Le donneur d’ouvrage de l’époque leur versait exactement 17,65$ par m³, et leur attribuait les secteurs de coupe les plus avantageux. Il est vrai que M. Gagnon a dû maîtriser une nouvelle technologie complexe à comparer à celle des têtes-à-scie et des flèches ébranchages, de nouvelles méthodes de travail, former ses opérateurs, et qu’il subissait de nombreux bris selon ses dires. Tout de même, les 17,65$ par m³ qu’il recevait en 1993, équivalent à 29,52$ par m³ en 2021 (1).

Par ailleurs, plusieurs nouvelles normes environnementales et du travail ont été introduites depuis, rajoutant de nouvelles responsabilités, coûts et tâches aux entrepreneurs forestiers sans, encore là, que la rémunération ne soit ajustée à la hausse de façon significative.

Entre-temps, lorsque le prix des nouvelles machines forestières produites par les manufacturiers augmentait, les équipementiers les vendaient plus cher aux entrepreneurs forestiers.

Si les pièces de remplacement augmentaient pour les fournisseurs, ils ajustaient leurs prix à la hausse pour les entrepreneurs forestiers.

Si les coûts des assurances augmentaient, encore là, les entrepreneurs forestiers absorbaient ces hausses.

S’il était nécessaire d’augmenter les salaires pour attirer de la main-d’œuvre compétente, encore là, les entrepreneurs forestiers en faisaient les frais. 

Maintenant, à qui les entrepreneurs forestiers ont pu et peuvent repasser la facture de toutes ces hausses de prix subies année après année, et qu’ils subissent encore aujourd’hui? Ils ne vivent pas dans un monde parallèle où ils peuvent éponger toutes ces augmentations de coûts à l’infini sans voir accroître leur tarification.

Juste pour 2021, Statistique Canada évalue l’augmentation de la rémunération hebdomadaire moyenne au Québec pour les secteurs foresterie, exploitation et soutien à 10,9%, et l’augmentation du prix de détail du diesel à 36,5% (Montréal). Les équipementiers interrogés rapportent des augmentations de prix moyens de 8% à 10% pour la machinerie neuve. Pour certaines pièces de remplacement, les augmentations peuvent même atteindre 20% (c’est le cas, par exemple, des semi-chenilles de type Eco-Track).

Somme toute, la situation est rendue insoutenable pour un grand nombre d’entrepreneurs forestiers. L’avenir de l’industrie forestière est en jeu si le premier maillon de la chaîne d’approvisionnement n’est pas mieux considéré. Surtout dans un contexte de pénurie de relève entrepreneuriale et de main-d’œuvre qualifiée.

Qui va récolter la forêt?
Il est donc plus que temps de réviser la formule de rémunération actuelle des entrepreneurs forestiers, et de mettre en place une formule juste et équitable qui considère l’ensemble des coûts réels d’opération de tous les sous-traitants de l’industrie, incluant un mécanisme d’ajustements annuels. 

La forêt québécoise est un bien public dont le gouvernement a la responsabilité de s’assurer de bien la gérer afin que tous ses intervenants soient traités équitablement, quels qu’ils soient. 

(1) Référence Banque du Canada  


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